La Maison du Schisme

Nous avons laissé le porche Gautheron et nous voici arrivés à l’intersection des rues Étienne Chenavas/avenue du docteur Louis Guyonnet.

L’arrêt devant cette maison pose question – que représente-t-elle ?

Une architecture classique recouverte d’un crépi neutre !…Et pourtant, à bien y regarder, sur sa façade nord, une fenêtre géminée et trilobée marque la transition entre le style roman et gothique.

La tradition orale nous indique qu’elle aurait pu être prélevée ainsi que d’autres matériaux à l’église, lors des guerres de religions (1562).

Nous pouvons constater une ressemblance de style entre la fenêtre encore visible sur la chapelle de l’église (cliché de gauche) et la fenêtre de la maison (à droite).

La ‘’maison du schisme’’, est donc le nom de cette bâtisse et surtout le symbole du déchirement des français entre  catholiques et protestants.

Rappel succinct sur cette page historique de notre pays et de notre village.

XIIème siècle, un terreau d’interrogations religieuses, s’installe dans notre région avec l’ancien marchand lyonnais  Vaudès (1140-1217) et ses disciples.

Ils prêchent pour une lecture plus stricte de l’évangile. Leurs diverses actions dont celle du soutien aux pauvres, échappent à la hiérarchie ecclésiastique. Ils sont excommuniés.

Pourchassés, ils se répandent dans notre région et les Alpes. Plus tard, leur présence est attestée à Beaurepaire en 1374. De ce nom naitra l’église évangélique Vaudoise.

31 octobre 1517, Martin Luther (1483-1546), professeur en théologie, scandalisé par le commerce des indulgences  (achat des pêchés pour raccourcir le passage au purgatoire) rend publique ses protestations…

1532, le synode vaudois de Chamforan (Italie)  le courant Vaudois finance l’impression de la première bible en français (bible dite d’Olivétan -1535) et rejoint le mouvement de la Réforme.

Notre région au carrefour de la Réforme, une bible en français permettant à chacun(e) de mieux l’interpréter avec l’aide de prédicateurs comme Michel Servet (1511-1553) aide à cette nouvelle vision religieuse.

17 janvier 1562, édit de tolérance signé par Charles IX sous l’influence de sa mère Catherine de Médicis.

1er mars 1562, massacre de protestants à Wassy(52) marque le début de la première guerre de Religion.

1562, 1567,1568, l’ensemble du Dauphiné dont la plaine de Bièvre avec la Côte Saint-André, Beaurepaire et tous ses alentours ne sont pas hostiles à la Réforme même si le nombre de protestants demeure limité, entre 6 et 7 % de la population.
La région va être le théâtre de nombreux combats et massacres. Ils sont occasionnés par les troupes régulières du baron des Adrets, (protestant en 1562 – catholique en 1563) avec à leur tête les capitaines Carrouges et Porte.

Aux côtés des soldats réguliers, les mercenaires sont toujours avides de butins faciles !

Notre village et son prieuré n’échappent pas aux meurtres et destructions déjà évoqués lors de notre étape N° 10 en commentaires du plan cadastral de 1750.

24 août 1572, massacre de la Saint-Barthélemy – entre 10 000 et 30 000 morts pour la France.

30 avril 1598, Édit de Nantes, signé par Henri IV, met fin aux guerres de Religion et définit le droit des protestants.
Une liberté toute relative car très contraignante comme par exemple celui de se rendre dans un des temples dument reconnu pour écouter les sermons.

Le temple de notre village ? – À ce jour, seuls, les temples de Roybon, Saint-Marcellin et Beaurepaire sont attestés pour le XVII° ?!

Le cimetière protestant de notre village ? la parcelle N° 49 en 1750 porte la mention ‘’cimetière des protestants’’. Il serait situé à l’est de l’église au fond de la rue des Anges.

Avant 1750 ? Sans doute, comme dans les Cévennes, les protestants étaient enterrés dans leurs terres.  L’abbé Poncet précise : ‘’Gabriel Eynardon, capitaine décédé le 22 novembre 1694, fut enterré dans son bûcher ; Alexandre Eynardon, décédé quelque temps après, fut enterré comme son père etc…’’

14 mai 1610, assassinat d’Henri IV par Ravaillac met la régence du royaume entre les mains de la très catholique Marie de Médicis, mère de Louis XIII encore mineur – la position des protestants va devenir difficile. Leurs biens seront petits confisqués. Ils sont persécutés. Ils commencent à fuir le royaume.

18 octobre 1685, révocation de l’Édit de Nantes  par Louis XIV.

 

Conséquences pour notre village, selon les rôles sur les nouveaux convertis avec état des nouveaux convertis qui ont quitté le royaume depuis 1683, 1699 (réf 4 E 370/CC35- archives départementale de l’Isère) onze protestants stéphanois sont partis.

Notons parmi eux, deux noms ‘’Enardon’’ que nous pourrons orthographier avec un ‘’y’’ pour Eynardon dont le nom de famille correspond à ceux cités auparavant, Gabriel et Alexandre enterrés dans leur bûcher !

Des membres de cette famille sont attestés à Lausanne en 1692.

De cette famille, il y Jean Eynardon, fils de Jean, notaire du village qui, en 1625, apprendra à Grenoble, l’art de l’orfèvrerie.  On lui doit, entre autres chefs-d’œuvre, la châsse de Saint-Antoine, ornée de dix bas-reliefs en argent.

Notons, c’est bien celle de  Saint-Antoine de l’abbaye !

Cité :

’comme orfèvre protestant connu pour l’œuvre religieuse destinée au culte catholique’’ !

Quand l’art réconcilie les oppositions !

Sans doute, estimerons-nous avoir bien fait de nous arrêter un instant devant cette fenêtre géminée et trilobée !

Il suffisait de l’entrouvrir pour faire, une fois de plus un saut, dans notre histoire locale !

Pour en savoir plus : histoire de la Côte-St-André  de l’Abbé Clerc-Jacquier – histoire générale du Dauphiné de Nicolas Chorier – Vie quotidienne et persécutions des protestants dans la plaine de la Bièvre et ses environs (XVII et XVIII° siècle) d’Émilien Robert – Pierre Valdès et les Vaudois – 2014 de Jérôme Perrin – archives départementales…