Embuscade et pièces d’or

Très chers lecteurs,
Ah, combien de rumeurs enfiévrées se répandent dans les salons de notre bonne société depuis la fête somptueuse de samedi dernier ! Sous l’éclat des lustres scintillants et les volutes d’étoffes ornées de fleurs, un véritable carnaval de grâce et de grandeur s’est épanoui dans la grande salle de bal de notre bourg. L’élite de notre contrée s’y pressait, la soie bruissant au rythme des salutations chuchotées, les regards échangés sous les ombres dansantes des chandeliers.
Notre Premier Magistrat, Michel Veyron, vêtu d’un chemisier de coton et coiffé d’un tricorne orné de plumes, prononça des paroles qui firent vibrer chaque cœur présent, dont celui de prestigieuses personnalités. Le bilan de l’année, parsemé de succès et de triomphes, se vit couronné par une annonce éclatante : des projets aussi audacieux que des batailles gagnées ! Quand le nom du docteur Yannick Neuder, ancien Premier Magistrat et aujourd’hui Ministre près la Cour, fut clamé, un frisson de fierté parcourut l’assemblée.
Mais mes sources, toujours fidèles, rapportent un incident digne des épopées les plus rocambolesques. Alors que le discours battait son plein, des gapians, farouches soldats de notre Souverain Louis XV, firent irruption, tambours battant, pour réclamer le trésor disposé sur l’estrade. Leurs intentions étaient claires, mais c’était sans compter sur l’audace flamboyante de Louis Mandrin !
Surgissant de l’ombre avec ses fidèles acolytes, il tendit une embuscade qui fit vaciller les soldats et les contraignit à battre en retraite, laissant le précieux butin entre les mains des contrebandiers.
Et quel butin ! Mes jeunes émissaires, élégamment vêtus, se faufilèrent parmi les convives pour remettre à chacun des pièces d’or lovées dans des écrins de velours soyeux; après avoir apposé un sceau unique sur une chronique inédite, spécialement rédigée pour l’occasion. Nul ne pouvait résister à cet élan de générosité, et les exclamations de ravissement se mêlèrent aux mélodies suaves de trois gracieuses musiciennes aux coiffes aériennes, perchées telles des colombes sur la mezzanine.
Enfin, mes amis, les festivités prirent fin sur des notes salées ou encore délicatement sucrées : un cocktail dînatoire où chaque mets semblait rivaliser de finesse et de saveur. Pendant que certains se remplissaient la panse, d’autres en profitaient pour se faire tirer le portrait dans un magnifique salon, immortalisant leurs atours d’époque pour la postérité.
Ainsi commence l’année des Mandrinades ! Une année qui promet moult aventures, complots et triomphes ; une année où, soyez-en sûrs, mes espions garderont les yeux grands ouverts pour me rapporter chaque secret, chaque murmure, et me donner de vous les narrer…
À très vite,
Votre dévoué,
Sir Etienne de Saint-Geoirs