Une mystérieuse prophétie…
Alors que certains d’entre-vous ajustent les bougies dorées et autres globes de cristal qui parent vos sapins; d’autres préfèrent sonder les mystères de l’avenir au travers de ces mêmes sphères éthérées…
Tandis que je m’attardais dans un charmant estaminet de notre bourgade, savourant un chocolat chaud nappé d’une pluie de cannelle, voici que je fus hélé par un vieil ami : Michel Demange, tenancier des lieux à la bonhomie savoureuse et historiographe à ses heures perdues. D’un air grave mais teinté d’émerveillement, il me confia une singulière histoire : celle d’une vieille femme aux yeux presque aveugles, qui lui murmura, ce matin même, dans ce même troquet, une prophétie à glacer le sang et à enflammer l’imagination. Voici ce qu’elle lui conta :
« Nous voici aux portes de Noël, et pourtant, au-delà du voile des jours à venir, un événement se prépare. Au onzième jour de février de l’année naissante, Marguerite Veyron-Churlet et son époux, François-Antoine Mandrin, connaîtront la joie d’accueillir leur premier-né. Si le Ciel leur accorde un garçon, il portera le nom de Louis, hommage révérentiel à Sa Majesté Louis XV. Mais si c’est une fille, elle sera prénommée Marie, en l’honneur de notre gracieuse reine, Marie Leszczyńska. »
Sachez-le, chers lecteurs, seuls quelques rares initiés ont été pris dans les rets de cette étrange vision, et pourtant, déjà, les murmures se propagent. Car le fils, s’il naît, dit-t-on, fera grand bruit…
Mais ce n’était là que le début des révélations. La prophétesse ajouta, dans un souffle presque mourant : « Dans l’ombre de l’atelier des Antonins, maîtres tailleurs de pierre et menuisiers hors pair, sous l’égide de l’habile et discret Maître Ginet, une mission secrète s’accomplit. Ils s’affairent à la préservation d’une demeure, qui un jour portera l’illustre nom de « Maison Mandrin »… Un édifice destiné à résonner dans les siècles. »
Mais il y a plus encore… Une autre vision, fugace, saisit la voyante. Elle aperçut Dame Frédérique, artiste aux mains habiles, esquissant et sculptant ce qui deviendra peut-être un jour le « festin du pauvre ». Puis, dans un frisson, elle murmura une fin prophétique : « Une bataille, ô combien douloureuse, se profile à l’horizon. J’y vois des blessures, des détresses, et des âmes perdues. Contrebandiers et soldats du roi se croiseront inévitablement… La rencontre sera fatale. »
Ainsi s’achevèrent les balbutiements mystérieux de la vieille femme, qui laissèrent notre tavernier pantois. Quant à moi, il me semblait impératif de coucher sur le papier ces énigmes, pour qu’elles ne sombrent pas dans les oubliettes du temps. Car qui sait, très chers lecteurs, si ces prophéties ne trouveront pas bientôt à s’incarner…
Votre dévoué,
Sir Etienne de Saint-Geoirs