Franchir le seuil de l’Histoire

Très chers lecteurs,
Samedi, aux premières heures du jour, alors que l’ombre de la nuit cédait sa place à l’éclat naissant de l’aurore, la cité s’éveilla au son des tambours battant la mesure du temps, des sabots frappant la terre comme le glas d’une époque révolue, et des sabres tintant sous la main de ceux qui veillent à l’ordre du roi. Sur le perron du cabinet de lecture intercommunal se tenaient les membres de notre Société. Le premier à franchir le seuil du Cabinet fut notre fin lettré et gardien de la mémoire locale, Michel Demange. Nul ne pouvait mieux que lui endosser le rôle du cicérone en cette plongée dans le temps ! Vêtu comme il sied à un gentilhomme : culotte et justaucorps aux teintes d’ocre et fleuries, bas d’un blanc reluisant, jabot de dentelle finement noué, tricorne hardiment campé sur sa tête; le guide ouvrit le bal.

D’une voix assurée, il guida les convives à travers les arcanes de notre époque teintée de faste et de misère, où l’on peut, selon la naissance et la fortune, festoyer dans des palais illuminés de mille chandelles ou bien périr dans les ruelles obscures, victime du froid, des impôts, des vilains… Chacun peut y découvrir le jeu de la Cour, le règne d’un Monarque, Louis XV, ouvrant les portes des Lumières mais baigné d’ombres, au goût de famine et à l’odeur de poudre. La vie quotidienne s’y déploie sous nos yeux, entre pratiques déconcertantes et abondance de parfums destinés à masquer des fragrances peu plaisantes. L’on y parle d’art de la table, de rivalités au coeur même de la noblesse, du clergé et du Tiers-État, de fortunes soudaines et de déchéances abruptes.

Noms illustres et figures parfois oubliées s’y croisent, laissant entrevoir les origines de notre ville, ses champs labourés, ses vignes ondulant sous le vent, et les dialectes qui s’y mêlent.
Ce sont également les rouages du système fiscal qui se dévoilent ici, aux côtés des affaires louches qui font trembler salons et hôtels particuliers. L’impôt, la contrefaçon, la contrebande, faux sel, tabac illicite, poudre à fusil et livres prohibés: tout passe sous le manteau, dans un jeu dangereux où se mêle fortune et gibets. Plus sombres encore sont les pages d’accusation de sorcellerie et de complots brûlants qui ensanglantèrent notre bourgade voilà peu. Bûchers érigés à même le plancher, vols de troncs d’église, enlèvements, ouverture de portes de prison, fuites de bandits et justices expéditives, toute une société souterraine se dessine dans ces récits, où l’ombre et la lumière s’entrelacent en une danse presque hypnotique.
Enfin, nul ne saurait passer outre les aventures du prince des contrebandiers. Vous foulerez de votre imagination le sol où il posa le pied, emprunterez les chemins qui virent ses courses folles, ses embuscades et entendrez le vent porter l’écho de ses triomphes autant que celui de son inéluctable chute.
Vous comprendrez enfin combien une éternité peut se lover en huit petites et interminables minutes…
Que les plus hardis d’entre vous se préparent à franchir le seuil de l’Histoire. Car une fois entrés, vous ne verrez plus jamais notre bourgade du même regard…

Sir Etienne de Saint-Geoirs

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